La maréchaussée parisienne de 1667 à 1770 sous les règnes de Louis XIV et Louis XV

Ancienne compagnie auxiliaire de justice prévôtale, la maréchaussée d'Île-de-France fut créée au début du XVI ème siècle pour combattre la grande criminalité et protéger les chemins des environs de Paris. Réorganisée en 1768 sous le contrôle de Colbert depuis 1668 et divisée en brigades, elle est mise sous Jérôme de Pontchartrain au service d'une politique de sécurité publique et de la politique pénale du gouvernement.

Localisation, effectifs et personnel

Les effectifs de cette unité à cheval compétente pour Paris et l’actuelle petite couronne, soit 84 paroisses étaient en 1724 de 15 officiers et 44 archers à cheval répartis en 7 brigades localisées à Bondy, Bourg-La-Reine, Charenton, Nanterre, Passy, Saint-Germain-en-Laye, Saint-Denis, Sèvres et Villejuif.

Chaque détachement comprenait un lieutenant et 4 archers à cheval résidant dans leurs meubles car les premières " gendarmeries" ne seront créés qu'à partir de l'ordonnance de 1778.

Ces archers appelé exempt, ne payaient pas d'impôts et étaient considérés comme des notables dans le monde rural. Ils achetaient leur charge dont la valeur représentait approximativement celle d'une petite seigneurie. Ainsi en 1694, une charge d'archer à cheval acquise 1.000 livres se revendit 2100 livres en mai 1700 1, soit la valeur d'une petite seigneuerie.

Les officiers

Tous les officiers étaient brevetés cavalerie, avaient acquis des connaissances juridiques et étaient indépendants de la hiérarchie militaire. Ils constituaient souvent des dynasties familiales en transmettant leur charge à leurs parentés 2.

Certains étaient au contact des élites intellectuelles du siècle des Lumières, marqué par la modification du contexte économique et social avec l'évolution des mœurs, des religions et le progrès scientifique dans nombre de discipline, telles la géographie, l'archéologie et les arts mécaniques.

La compréhension du monde ancien à travers la vision du monde chrétien ne satisfaisait plus les milieux intellectuels, dont l'écrivain philosophe Denis Diderot qui attachait de l'importance aux arts mécaniques traditionnellement méprisés par l’Église.

Le philosophe Denis Diderot et le gendarme François Jacques Guillotte

En avril 1746, déjà connu pour ses talents d'écrivain philosophe, Denis Diderot 3 , alors époux d'Antoinette Champion logeait 6 rue Mouffetard, paroisse Saint-Médard à Paris 4 , au domicile de François Jacques Guillotte, exempt de la Maréchaussée d’Île de France depuis 1726. Les deux hommes sympathisèrent, réunis par une philosophie commune et leur intérêt pour l'évolution de la société d'ancien régime.

C'était l'époque de la publication des Pensées Philosophiques, première œuvre originale du philosophe ( il aurait déjà publié en 1747 Lettre philosophique sur l'immortalité de l'âme, interdite par le Parlement) suivie en 1749 par celle de sa Lettre pour les aveugles à l'usage de ceux qui voient. L'œuvre est condamnée et Diderot, considéré par l'ancien régime comme dangereux pour ses positions matérialistes depuis 1747. Il avait alors été dénoncé au mois de juin pour son impiété par le curé de l'église Saint-Médard et par un exempt de la Maréchaussée nommé Perrault. Cela lui valut d'être conduit le 31 juillet 1749 au château de Vincennes où il sera incarcéré trois mois sur ordre de Nicolas René Berryer lieutenant-général de police de la prévôté et vicomté de Paris 5.

Après sa libération, Diderot et son épouse continuèrent à fréquenter François Jacques Guillotte 6, qui commença à collaborer à l'Encyclopédie et dont Denis Diderot était l'un des éditeurs. Mais en 1757, la publication d'un article titré « Genève provoqua un scandale et la démission de son collègue d'Alembert suivie d'autres contributeurs. François Jacques Guillotte resta au contact de Diderot puis pris sa retraite de la Maréchaussée en 1760 puis acquit la charge d'Inspecteur au marché des chevaux à Paris, après avoir vendu sa maison de la rue Mouffetard. Il mourut vers 1766, transmettant sa charge à Charles Guillotte son fils aîné.

Au cours de sa collaboration avec Denis Diderot, François Jacques Guillotte avait montré son intérêt sociétal et publié plusieurs idées nouvelles ;

1) La réformation de la police de France.

Présenté au roi en 1749, ce mémoire est considéré de nos jours par certains chercheurs comme étant à l'origine de la Carte Nationale d'Identité. Mais c'est plus que cela car François Jacques Guillotte, fort de son expérience et de son pragmatique, préconisait plusieurs réformes en matière de Police Générale notamment:












2) La construction des ponts militaires

En 1763, François Jacques Guillotte a présenté dans l'Encyclopédie une étude titrée « Pont Militaire » dans la section « recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et arts méchaniques (sic) avec leur explications » Dans la section « charpenterie », page 6 et suivantes, l'auteur présente plusieurs planches techniques d'un pont de bateaux portatif dont il se dit l'inventeur. Ce type de pont aurait été édifié sur la Seine à Rouen et pouvait supporter 8000 livres. Il présente également les plans d'un pont volant pour les passages de rivières.

Ci-dessous extraits des planches illustrées présentées par François Jacques Guillotte



Ainsi François Jacques Guillotte était en avance sur son époque et la plupart de ses articles furent crédités par l’abbé érudit philosophe, historien et géographe Lenglet du Fresnoy

Sa postérité était la suivante.

Bien entendu, comme toutes les dynasties d'officiers de la Maréchaussée, ses deux fils nés de son mariage avec Marie Anne Collet des Touches furent officiers dans ce corps en Ile de France : Il s'agissait de :

  1. Charles Guillotte qui fut un temps garde de corps du roi puis inspecteur du marché aux chevaux de Paris jusqu'en 1777 et enfin lieutenant de la maréchaussée d’Île de France jusqu'en 1787.

  2. Alexandre Guillotte fut de 1756 à 1776, lieutenant commandant la brigade de Maréchaussée à cheval basée à Bondy 7 . C'est dans cette commune que naquit son fils Pierre Alexandre en 1770 et sa fille Marie Esther. En 1777, il fut muté à Paris où sa famille possédait 2 maisons rue Mouffetard.

Passé d'Alexandre Guillotte au service du roi.

Nommé officier de l'Ordre de Saint Louis en 1778, Alexandre siégea par délégation au poste de prévôt des Maréchaux à Paris et fut également à cette époque procureur fiscal et prévôt de la baronnie 8 seigneurie de Villemomble 9, et prévôt de l'abbaye Saint-Antoine pour sa censive de Noisy-le-Sec en 1778, bailli de Livry.

Breveté capitaine de cavalerie en 1785, il fut nommé Inspecteur commandant du jardin des Plantes par décision du roi Louis XVI en date du 1 janvier 1786 et chargé de la police de ce lieu 10 . Il était également inspecteur du marché aux chevaux de Paris en remplacement de Charles son frère aîné. Tous deux logeait dans un logement de fonction situé dans le Jardin des Plantes.

Son passé au service de la Révolution

Alexandre Guillotte eut un destin peu commun dans les premières années de l'épopée révolutionnaire ainsi résumée ;

Il fut élu dès le début de la Révolution aux États Généraux d'avril 1789 et nommé membre de la commission militaire de la commune de Paris au titre du district de Saint-Victor Élu les 2 et 9 août 1789 commandant du bataillon de Saint-Victor de la Garde Nationale, c'est sous son commandement que fut adopté le drapeau de cette unité militaire composée de 2 compagnies de 30 hommes et d'une compagnie du centre, soit au total environ 120 personnes.

Son fils Pierre Alexandre fut nommé le 2 août 1789 à l'âge de 21 ans capitaine de la compagnie du centre, suivi 3 jours après par son neveu Guillaume fils de Charles Guillotte nommé aide-major du bataillon. Ces nominations et le fait quque le commandant Guillotte occupait un logement de fonction attribué par l'ancien régime, furent considérées comme du favoritisme et contestées par une partie de sa troupe. La commune de Paris en appela à La Fayette 11nommé, le 15 juillet 1789 commandant général de la Garde Nationale.

La procédure suivit son cours et le 28 novembre, Alexandre Guillotte fut démis de ses fonctions de police du Marché aux chevaux, mais pas de son grade de commandant. Afin de conserver son logement de fonction, il rédigea un mémoire mentionnant qu'il logeait son frère Charles paralytique et chargé de famille. La municipalité parisienne refusa et une commission mixte Municipalité de Paris et Garde Nationale fut nommée. Alexandre Guillotte fut soutenu par les militaires qui garantissait sa , pp.probité et son patriotisme et le 21 janvier 1790, la commission mixte annonça que les nominations du fils et du neveu d'Alexandre Guillotte étaient licites et déboutait les opposants du district de Saint-Victor. Par contre, il devait quitter son logement.

L'affaire provoqua des remous politiques car le cas Guillotte était le symbole d'une lutte intestine pour l' ascension des cadres révolutionnaires dans la nouvelle société. Afin de calmer les esprits, Alexandre Guillotte proposa sa démission sous condition que son fils Pierre Alexandre conserve son poste de capitaine, ce qui fut accepté .

Ce n'était pas terminé car à la suite de la fuite du roi Louis XVI à Varennes de juin 1791, la foule parisienne se rassembla aux Tuilerie et refusa de se disperser. L'assemblée constituante proclama la loi martiale et le maire de Paris fit appel à la Garde Nationale conduite par La Fayette. Accueillie à coups de pierres, elle ouvrit le feu et il y eut de nombreuses victimes. Était présent Pierre -Alexandre Guillotte, toujours capitaine de la compagnie du centre du bataillon de Saint-Victor 12 et de la section des Gobelin.

Ce n'était qu'un épisode de plus entre l'antagonismee de la municipalté parisiennes en majorité jacobine contre les militaires commandés par La Fayette au point que le 19 août 1792, le général La Fayette fut déclaré « traître à la nation » et pris le chemin de l'émigration.

Épilogue

Comme le général La Fayette, de nombreux français prirent le chemin de l'exil, dont le fils d'Alexandre Guillotte dit de Saint Valerin, né à Bondy le 16 mars 1770 qui émigra à Saint-Domingue puis aux États-Unis.

Connu sous le patronyme de Pierre Alexandre Guillotte de Saint-Valerin, il aurait été officier de milice locale et serait décédé le 12 décembre 1851 à la Nouvelle Orléans. Il est connu dans cette localité américaine en 1817 sous le nom de Peter Alexandre Guillotte 13 pour avoir libéré volontairement son esclave John.

Son père Alexandre Guillotte aurait également émigré également aux États-Unis où la documentation le concernant est conservée à l’Université Cornell à Icantha, état de New York sous le titre « Mémoire justificatif du chevalier Guillotte » , dossier Lavoisier.

Lecture : "Une révolution à l’œuvre De Haim Burstin par Editions Champ Vallon".

"Notice sur les auteurs des dix sept volumes du discours de l'Encyclopédie" publié dans "Recherches sur Diderot et l'Encyclopédie, n°7 de Frank A. Kafker.

On trouvera ci-dessous la généalogie Guillotte

Parenté de Jacques François Guillotte, collaborateur de l'encyclopédiste Denis Diderot
separation

1 Vente de la charge de feu l'archer François Veau par son épouse Jeanne Lesage à Laurent Daminaville pour la somme de 2010 livres, payable en deux fois, la dernière le 12 mai 1700. Actes des 12 et 16 mai 1694, étude de Noisy-le-Sec, n° CXXXV, liasse n° 18.

2 Entre judicature et épée » dans cahier de l'Histoire socioculturelle des Armées , année 2002.

3 Né le 5 octobre 1713 à Langres, Denis Diderot est décédé le  31 juillet 1784 à Paris. Il était reconnu cmme écrivain, philosophe et encyclopédiste.

4 Chez le sieur Guillotte, exempt du prévost de l’Isle de France, premier étage à droite. Selon Almanach royal 1757 et Georges Roth dans «  Diderot, correspondance » Paris, éditions de Minuit, 1955–70, I, p. 53.

5 Oeuvres complètes de Diderot, tome 20 de 1877 par J. Assézat et Maurice Tourneux, p.122),

6 Le couple Diderot est cité lors du mariage de sa fille Marie Anne Guillotte avec le chirurgien Roch de Vienne célébré le 6 juillet 1751 à Paris, dans Minutier Central des notaires ET/XVI/799.

 7Archives Nationales, série 01 361

8 En Aulnoye jadis, bulletin n° 28 de la Société Historique du Raincy et Pays d’Aulnoye, année 1999, intitulé «  A Villemomble de 1771 à 1774 » pages 28 et 29 . Également Archives Nationales , série Z2 4649 Justice de Villemomble

9 Bibliothèque de l'Arsenal, manuscrit Bastille 12447 f° 107.

10 Archives Nationales, série AJ/1/510, personnel du jardin du roi.

11 Gilbert du Lotier, marquis de La Fayette dit « La Fayette », né le 6 septembre 1757 à Chavaniac-Lafayette (Haute-Loire) mort le 20 mai 1834 à Paris. Aristocrate d'orientation libérale, officier et homme politique, ce fut un acteur important des premières années de la Révolution puis de la monarchie de Juillet. Egalement un héros de la guerre d'indépendance des États-Unis .

12 Archives Nationales, série W 294 n° 35.

13 New Orléans Public Library, dossier 174 D.

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